Si j’étais un peu moins scientifique, et
si je maitrisais un peu plus l’art des mots, je me serais certainement plus
intéressé à la philosophie. Je regrette aujourd’hui de n’avoir été
plus attentif aux propos de mon professeur
lors de mon année de terminale. Mais ! Grâce soit rendue à la plasticité
cérébrale, il n’est jamais trop tard pour s’ouvrir à de nouveau domaines et
l’épistémologie et la philosophie des sciences font partie de ces derniers. Aussi c’est en tant que novice en
philosophie et que je voudrais vous entretenir du problème du finalisme !
Le finalisme contre le mécanisme.
Le finalisme c’est l’idée qu’il existe un aboutissement, une fin à
l’univers et que tous les phénomènes qui s’y produisent, conduisent
inéluctablement vers cette fin. En ce
sens l’idée du finalisme est à priori indissociable de la croyance en un Dieu.
Pour prendre un exemple : l’aile a été crée pour le vol.
Cette idée du finalisme s’oppose au
principe du mécanisme, pour lequel chaque phénomène possède une cause qui lui
est propre et la cause précède forcément le phénomène. Pour
reprendre l’exemple précédent on peut dire que c’est l’aile qui permet le vol.
Devant l’implacable logique de ce raisonnement,
les finalistes suggèrent que la fin est ultime en exécution mais première en
intention (« Finis est prima in intentione, ultima in
executione » dit Aristote) : si les ailes permettent le vol c’est parce qu’elles
ont été conçues pour cela : c’est plus où moins de l’intelligent design…
Une idée qui date d’Aristote finalement !
[Platon, à gauche, devise gaiment avec son disciple Aristote ,à droite, dans les couloirs du Lycée - ou école péripatéticienne, qui tire son nom du terme grec peripatein, « se promener ». La légende dit qu'Aristote enseignait au Lycée en se promenant. Tableau: L'Ecole d'Athènes - Raphaël, vers 1510]
D’une façon générale la pensée scientifique se veut rigoureusement mécanistique et cherche donc les causes et les mécanismes de chaque phénomène. Ainsi la théorie de l’évolution exclue en bloc, et elle a raison de le faire toute idée d’un perfectionnement ou de finalisme dans l’évolution.
Le finalisme et l’idée d’une fin...
Ceci étant, le finalisme renvoi également
à l’idée d’une fin, dans le sens de la terminaison. Et je voudrais ici réfléchir
au concept théorique d’une fin de l’évolution biologique.
Fukuyama envisage l’idée d’une fin de
l’Histoire, en précisant que l’admission de plus en plus large d’un modèle
démocratique, d’une voie de la raison, devrait logiquement conduire à une fin de
l’Histoire c'est-à-dire à l’absence d’événement historiques majeurs tels
que les guerres par exemple. C’est une idée un peu utopique, mais malgré tout
assez séduisante. On peut d’ailleurs imaginer que l’accélération des échanges,
la mondialisation, ainsi que la mise en place de systèmes de régulation,de
plus en plus réactifs, devraient faciliter cette fin de l’Histoire; ce gain en stabilité.
Pour moi ce concept est à envisager dans le
cadre de la théorie des jeux : il existe une solution optimale, logique,
« mathématique » à tous les problèmes. Si cette solution optimale (ou pas) est connue elle devrait logiquement s'imposer. (Voir l’article sur le dilemme du prisonnier)
L’équilibre d’Hardy-Weinberg : fin
de l’évolution ?
Mais revenons à mon idée: sur le modèle
de la fin de l’Histoire, peut-il y avoir théoriquement une fin à
l’évolution ?
Pour qu’une telle fin se réalise il
« suffit » de maintenir constante les fréquences alléliques, en terme
plus simple il faut que le "contenu génétique" présent dans ne population ne
varient pas d'une génération à l'autre. L’approche mathématique de ce problème a été envisagée
par le mathématicien britannique Godfrey H. Hardy (photo ci-dessous) et indépendamment par le
physicien allemand Wilhelm Weinberg en
1908 : c’est la fameuse loi de Hardy-Weinberg.
Quelles sont les conditions d’application
de cette loi ?
La population doit tout d’abord être de
taille infinie, afin d’éviter la dérive génétique ; et les flux migratoires sont nuls. La
reproduction doit se faire de façon aléatoire : c’est la panmixie (on
considère une espèce diploïde). Il n’y a ni mutation ni sélection dans la
population considérée.
Si toutes ces conditions sont réalisées
alors la fréquence des allèles ne varie pas d’une génération à l’autre.
Autrement dit, il n’y a pas d’évolution! De la à conclure que l’évolution biologique a une
fin, il y a un pas que je ne franchirai pas.
Cependant, si les conditions de
l’équilibre de Hardy-Weinberg sont utopiques, peut-on toutefois imaginer que
l’Homme s’en rapproche suffisamment par ses moyens technologiques pour
atteindre statistiquement cet équilibre ? (j’insiste sur le point
d’interrogation). En effet la médecine rend la sélection naturelle
négligeable ; la démographie et les capacités de transport à l’échelle
mondiale limitent la dérive génétique. etc.
En conclusion, dans les conditions actuelle la vitesse d’évolution de la
population humaine est négligeable (et oui l'Homme du futur ce n'est pas pour demain!). Wikipédia présente également un exemple concret de population
de papillons Callimorpha qui répondent statistiquement (via un test du χ2)
à la loi de Hardy-Weinberg.
Conclusion :
Un roman d’anticipation
pourrait tout à fait imaginer, suite à une crise de la biodiversité causée par
l’Homme par exemple, qu'un faible nombre d'espèces présentes sur Terre occupent la totalité des
niches écologiques et répondent à cet équilibre de Hardy-Weinberg. On aurait
alors une fin à l’évolution… Je clos ici mon délire pseudo-philosophique que
je vous invite à alimenter, où critiquer comme bon vous semble! Pour ma part, j’ai en quelque
sorte réglé ma frustration philosophique, pour un temps au moins. Mais assurément
ce n’est pas ma seule frustration et je
regrette également de ne pas être plus bricoleur. La notion de « bricolage
évolutif » chère à S.J. Gould et F. Jacob qui s’oppose au finalisme vous
attend donc dans un prochain article !
D'ici là excellente année à tous.
Liens Wikipédia:
Merci à J. Reigner pour cet article.
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8 comments:
Ha oui, la philosophie des sciences est un domaine fascinant! Moi aussi j'essaye de m'y plonger ^^
Quelques réflexions en vrac:
Je n'associerais pas forcement finalisme à fin mais à finalité ^^ Usuellement on considère le finalisme comme une inversion causale donc comme l'idée que la conséquence entrainerait la cause. C'est ce que nous faisons tous les jours quand nous projetons ("je construit cette chaise pour pouvoir m'asseoir", c'est l'idée de s'asseoir qui entraine indirectement la construction de la chaise. Conséquence: s'asseoir, cause: chaise. Or j'ai pensé à m'asseoir pour faire la chaise). D'où la nécessité d'une intelligence pour un projet (en tout cas c'est dur d'imaginer une finalité sans intelligence). "Finalement" dire l'œil est fait pour voir est une simplification (outrancière), P H Gouyon (généticien s'intéressant à la philosophie des sciences au muséum) a pas mal réfléchit là dessus. Ça m'a beaucoup amusé quand il nous as dit un jour "enfin, faut arrêter, l'œil est une adaptation à la vue". A la limite sans finalisme pas d'adaptation, seulement des exaptations, que fais t'ont alors de la théorie de l'évolution comme expliquant les adaptation? L'adaptation existe t'elle alors? Pourtant cette notion a une incroyable capacité explicative. Peut-être trop? Une autre idée: les boucles causales (boucles de rétroaction) ne répondent t'elles pas (du moins en partie) au probleme? Vu que par la boucle la conséquence devient une cause et on recommence.
Je n'ai pas les réponses mais la philosophie des sciences ça fait se poser des questions ^^ Et ce sont des réflexions embryonnaires donc très critiquables. Je ne vais pas continuer, je serais capable de ne jamais m'arrêter ;)
Hello,
et merci pour cet article qui me fait découvrir cet équilibre de Hardy-Weinberg dont j'ignorais l'existence... Par contre je suis curieux de savoir sur quoi tu te bases pour affirmer que "dans les conditions actuelle la vitesse d’évolution de la population humaine est négligeable"... Vues les échelles de temps en jeu, je me demande bien d'ailleurs quel genre de processus expérimental pourrait nous éclairer sur cette question...
La médecine rend peut-être la sélection naturelle moins radicale par rapport à certaines pathologies ; il reste que tout le monde ne se reproduit pas uniformément ! Et même si on considérait comme nulle la pression évolutive liée à la mortalité, reste la sélection sexuelle, qui n'est pas négligeable...
Tiens sinon, j'ai lu récemment un article qui a modifié ma vision de la fin de l'histoire de Fukuyama. J'ai fait un billet dessus : http://dvanw.blogspot.com/2011/03/152-fin-de-lhistoire.html
Extrait d'une interview du nouvel obs:
Attention c'est le retour du lamarckisme. Du grand n'importe quoi d'après moi... La seconde réponse est en contradiction avec la première et plutôt hors sujet. à lire
N.O. - Pouvez-vous poursuivre cette transposition vers le futur?
H. de Lumley. - Toute espèce naît, évolue, se diversifie et disparaît. Il n'y a pas de raison que l'espèce humaine échappe à la règle. Elle continuera à évoluer. Le développement du crâne - de plus en plus large et rond, avec un cerveau de plus en plus volumineux - se poursuivra. Au cours de l'hominisation nos membres antérieurs, ne servant plus aux tâches de locomotion, se sont raccourcis. En revanche nos pouces se sont allongés, permettant des gestes plus précis. Sous l'effet de la bipédie, nos membres postérieurs sont devenus plus longs, plus droits, plus solides. Ces évolutions vont se poursuivre. L'homme du futur aura probablement des bras courts, une grosse tête, de longs pouces et des jambes puissantes. Cependant nous utilisons de moins en moins nos membres postérieurs pour nous déplacer; à long terme ce ne sera peut-être plus un avantage d'avoir de longues jambes.
N.O. - L'évolution culturelle serait donc en passe de modifier notre espèce?
H. de Lumley. - En effet, l'homme est devenu le maître de son évolution, il peut modifier tous les facteurs de son environnement. Grâce aux habitations climatisées, son corps n'est plus obligé de s'adapter aux intempéries comme celui des Inuits adipeux ou des Touaregs longilignes. Les procréations médicalement assistées et les nouvelles molécules pharmaceutiques modifient le processus de la sélection naturelle. L'homme est capable de bricoler son patrimoine génétique, mais il ne pourra jamais s'affranchir totalement de son milieu naturel. De même que les plantes et les animaux il est formé de cellules et de protéines... Il est urgent de créer une nouvelle éthique planétaire capable de gérer l'avenir de l'humanité.
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Quelques remarques sur cette interview qui répondrons à dvanw:
1- L'évolution ne répond pas à un besoin (il faut oublier les girafes de Lamarck qui tirent sur leur cous)
2- La sélection naturelle et sexuelle est quasi nulle pour 3 raisons:
i)La taille de la population humaine empêche la fixation des allèles. Même si la reproduction ne se fait pas au hasard il faut un très faible brassage et donc une très petite population pour fixer un allèle.
ii)L'effet de la sélection est masqué par la stochasticité environnementale qui pèse sur les phénotypes (cf les milliardaires mariés à des tops modèles: pas sur que les grand pouces pèsent bien lourd dans la balance)
iii) La société humaine et sa technologie gomme aussi bien la sélection naturelle (médecine) que la sélection sexuelle (chirurgie esthétique, vêtements et modes, variations des canons de beautés au cours de l'histoire) etc.
J'ai oublié de préciser que la remarque de Dvanw sur l'échelle de temps est très pertinente.
De même il n'y a également pas de validation expérimentale possible.
Bref le problème est quantitatif: il y a évolution mais à quelle vitesse ?? (pour moi très très faible)
Tout ça me rappelle une interview d'Yves Coppens il y a assez longtemps: Il s'essayait à imaginer ce que serait l'Homme dans plusieurs millions d'années en projetant ces connaissances des temps passés.
J'étais jeune mais j'ai trouvé cela ridicule (je me rappelle m'être demandé comment un homme apparemment si intelligent pouvait dire de telles bêtises)...
J'étais convaincu que nous avions cessé d'évoluer (population dépassant les cinq milliards d'individus à l'époque, médecine, sélection plus vraiment lié aux gènes mais plutôt au portefeuille...) et que nous allions petits à petits aboutir à une population métisses d'individus se ressemblant comme des frères.
Mais, plus tard, je me suis demandé si notre évolution n'avait pas changé de nature: La médecine, en permettant à des individus porteurs de "tares" de se reproduire sans problèmes ne favoriserait-elle pas le maintient de ses "tares" dans la population? Par exemple les myopes peuvent porter des lunettes (comme moi), les diabétiques prendre de l'insuline etc.
J'ai vu il y a qq temps un doc sur Arte qui soutenait cette idée (avec une jolie rousse).
Mais du coup n'aurait-on pas le choix qu'entre deux alternatives pas vraiment sympathiques:
Soit ressusciter une veille idée: l'eugénisme...
Soit continuer notre "marche en avant", jusqu'à aboutir à des individus complétement "dégénérés". Ceux-ci ne pouvant absolument plus se passer de prothèses artificielles pour survivre, n'ayant pas dans leurs gènes de quoi se construire un corps viable. De tels individus serait "à la merci" de la société, il n'aurait aucune chance de pouvoir s'en émanciper (mais n'en sommes nous pas déjà là?).
Ou alors ne devrions nous pas accepter que l'on "bidouille" nos gènes?
Bon... aujourd'hui je pense (même si c'est une idée qui ne me plait pas) que notre espèce a très peu de temps à vivre sous sa forme biologique. Donc tout mon petit texte n'a sans doute pas beaucoup d'intérêt... ;-)
Manu
l'engénisme est en marche avec la PMA : il suffit d'écuter J testarddans sesinterventions aux Etats généraux de la bioéthique à la Cour de cassation le 15/2/18 . L'ouverture de la PMA à toutes les femmes fertiles multiplie par 20 le "marché " demandeur de PMA en France (on pourra enfanter à tout age ) . Et le séquençage de l'ADN booste cette fois tres rapidement via un eugénisme procréatif que même Aldous Huxley a imaginé en passant par une bioéthique " qui autorise le droit à l'enfant "choisi" ...
ainsi la vitesse de l'évolution peut être bousculée par une reproduction humaine mecaniciste et qui sort du modèle multi millénaire de l'espèce humaine
Mais restons dans la philosophie
le finalisme de Aristote ( renforcé par la scolastique remetant les mecanistes a leur place ) ne doit pas être pris dans ce seul angle de vue "intellectuel . Aristote pratiquait la méthode de demonstration philosophique vérifiées par la réalité observable et irréfutable (sauf à dire que tout est illusoire et relativisable comme il en est dans certains courants de boudhisme qui ne sont pas sans alimenter les courants relativistes ésotériques) , faisant de sa philosophie une base solide de la pensée occidentale depuis quelques 25 siècles , qu'ion appelle d'ailleurs philosophie première ou encore philosophie réaliste .
Ce qui m'intéresse ici concerne l'espèce humaine et son être , que la metaphysique ( encore Aristote ) va sonder... jusqu'a démontrer et qualifier ce que celui ci a de substantiel : l'ame et l'esprit qui in - forment un corps ... et l'esprit subsistant au corps (et son évolution au cours de la vie du corps) quand bien même cet esprit s'enrichit et il l'appelle l'intellect agent (agissant : comme le hardware ne peut "agir" que si le software est connecté ) .
De là il déduit par la demonstration des 5 modalités de l'acte que nécessairement il tien sa substance d'un être premier . Le metaphysicien lui trouvera d'ailleurs des qualités que la scolastique n'aura aucun mal à identifier avec ... Dieu (ou les religions archaiques au Créateur). Dans ses qualités : puisque l'esprit subsiste apres la mort c'est qu'il le tient de cet être premier qui on pourrait dire est qualifiable de "Pensée de la pensée "... Ainsi il y a une finalité à toute chose possible et en quelque sorte difficile à contester philosophiquement ou raisonnablement .
Ce qui est incroyable c'est que dans ces qualités de l'être il en est une qui est la liberté ce qui discrédite tout déterminisme ou prédetermination .... ce que peut imposer génétiquement la PMA et la Bioéthique telle qu'elle en prend le chemin en maitrisant la conception humaine et la determination des individus ( du moins intentionnellement , apres une phase de délibéré) séléctionnés et modifiés ou mutés à dessein .
Tout en distinguant tout de même que la fin (finalité) se moque bien des desseins d'un pouvoir de la science qui s'approprie tous les stades de developpement de l'être . Ce qui est rassurant quelque part : jamais la science de l'homme ou mecaniste ne pourra créer une âme , ni de ce fait aliéner ce qui en est une des caractéristiques inviolables : la liberté de se défaire de ses créateurs et aliénateurs .
Qui plus est pour le croyant la finalité de l'espèce et de l'être n'est pas non plus anéantie dans cette perspective eugéniste .
Comme le disait Etienne Klein à Strabourg ( forum europeen de Bioethique de debut 2018 ) : impossible de voler l'immortalité à l'homme , celui ci serait frustré si on lui disait que la mort etait vaincue ( theorie du transhumaniste Laurent Alexandre) .. de son immortalité justement. Et l'homme n'aurait plus comme recours pour la retrouver que dans un vaste courant contagieux de suicide (assisté au besoin ) et pour autrui de l'euthanasie , au nom d'une pseudo liberté consenti au citoyen (c'est tout l'enjeu d'ailleurs du débat idéologique sur la fin de vie dans la consultation des Etats Généraux de la bioéthique )
pour continuer ?
vergeronbruno@netcourrier.com
NB : je suis scientifique aussi mais je faisais en terminale des sessions et seminaires d'approfondissement avec mes camarades de philo ... merci à leur prof qui m'avait accepté avec un autre copain de Terminale C
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